Aujourd'hui les avis ne cessent de se multiplier à propos de la position des Ultras, qui ont toujours affiché la volonté
de se plonger dans l’univers politique. Que ce soient les Greens boys du Raja
ou les Winners du WAC ou encore les Ultras
Askary des Far entre autres.
Les gradins des stades de football ne résonnent plus au rythme de chants
exclusivement sportifs. La tendance, ces dernières années, est surtout à la
revendication politique.
Repris en chœur, dans une parfaite harmonie, les
supporteurs de clubs de football entonnent des chants au contenu politique
parfois étonnant, des messages adressés explicitement aux hauts responsables du
pays.
Des tribunes
parsemées de tifos géants ainsi que de banderoles et éclairées de fumigènes,
s’enflamment et reflètent l’image d’un mouvement social ayant une connotation
plus contestataire.
Le terrain de football est devenu aujourd’hui un lieu de
socialisation et de sociabilité bien ancré dans une logique identitaire et de
protestation. Cette logique adoptée par les Ultras est pleinement influencée
par la situation politique et sociale immédiate de leur société.
En tant que groupes sociaux hétérogènes, les
Ultras sont l’expression d’une situation problématique d’autant plus
conflictuelle, ce qui crée des tensions et rend le stade un théâtre d’affrontements
violents entre les forces de l'ordre et les ultras.
Pour
comprendre ce regain de violence autour des stades marocains, nous avons
interrogé Abderrahim Bourkia,
journaliste, sociologue et auteur de l’ouvrage « des Ultras dans la ville », qui a estimé que ces Ultras, souvent
comme une machine de violence, n'ont vu le jour au Maroc qu'en 2005, alors que
la violence dans les stades et l’hooliganisme a toujours existé. Il s'agit d'un
phénomène qui n'a rien à voir avec la culture des Ultras, la violence existait
et continuera d'exister.
On peut
davantage parler d’une majorité issue de familles “modestes” des quartiers
populaires et des classes moyennes ayant la volonté de se reconnaître, de
militer afin de résoudre l’antagonisme des classes et leur sentiment
d’exclusion. L’inscription dans un groupe est une opportunité en or
garantissant à l’adhérent d’avoir une identité.
« Bouger sans arrêt est leur
devise », Et si
le stade reste le principal lieu de confrontation et de démonstration des
ultras, l’espace public urbain est également fortement investi par ces
supporters.
Lorsque ceux-ci se déplacent dans d’autres villes pour soutenir
leur équipe. Pour se financer, ils commercialisent des produits dérivés :
écharpes, casquettes ou encore bannières. Ils se rencontrent dans des lieux
précis pour répéter leurs chants et voir des Tifos des autres Ultras. Pour
eux le rituel débute bien avant la rencontre et perdure bien après elle.
Une fois sur
le terrain, le sentiment d’appartenance au groupe se consolide davantage,
lorsque les chansons des Ultras se transforment de simples chants spontanés ou
refrains destinés à supporter et accompagner leurs équipes de cœur dans les
bons moments à un porte-voix des revendications sociales et politique qui
expriment le mécontentement d’une jeunesse écœurée.
Reprises par
des supporters dans les contrées les plus lointaines du monde, les chansons des
Ultras marocains sont devenues une source d’inspiration et une référence dans
la région. Ces chants à travers lesquels les Ultras passent des messages forts
changent selon le contexte pour s’adapter à l’actualité. Les
paroles de ces chants ont une portée significative qui laisse à méditer.
Loin
de la langue de bois, les chants des stades marocains mettent à nu une réalité
amère. En 90 minutes, toute la gamme des émotions que l’on peut
ressentir dans le temps long et distendu d’une vie se défile: La joie, la
souffrance, la haine, l’angoisse, l’admiration, le sentiment d’injustice. »
F’Bladi Delmouni » en est l’exemple concret, Créée
en mars 2017 par le groupe musical des ultras du Raja, Gruppo
Aquile (Groupe des Aigles), émeuve actuellement tout le Royaume, rencontre
un succès viral dans un contexte gangrené par les inégalités sociales. Avec des
paroles simples et efficaces, le chant revient sur le désespoir d’une jeunesse
désabusée.
Des chants porteurs de sens, selon l’expression heureuse de Max
Weber. Des messages qui trouvent leur origine dans certains mécanismes
générateurs prépondérants tels que le chômage, la pauvreté ou encore la
négligence, en l’absence de véritables politiques publiques dédiées aux jeunes.
Comment s’organisent-ils alors pour composer leur chant ?
Ces supporters passent des jours et des nuits à
confectionner les "tifos", les chorégraphies et bien évidemment les chants
rythmés et les slogans mélodiques appris par cœur.
Ces chansons
ne sont pas le fruit du hasard, il y a toute une équipe derrière. Comme a
exprimé Amr, un jeune féru de foot, il y’a une cellule chargée de les composer.
Ensuite, ces chants sont présentés devant le "Noyau Ultra", seul
organe habilité à décider et à trancher sur des questions liées aux chants, aux
tifos et aux déplacements.
Aujourd’hui,
l’espace sportif au Maroc abrite en son sein les ingrédients élémentaires d’un
processus de transformation sociétale. Parce que nous sommes en présence d’une
jeunesse extrêmement consciente de ce qui se passe autour d’elle sur le plan
local et international, une jeunesse créative et cultivée, qui voit l’avenir
d’un autre œil que celui du pouvoir.
Dans un Maroc où 46 % de la population a moins de 15 ans, les ultras peuvent sans doute s’accaparer un espace abandonné par les associations et les partis politiques. S’ils se font déjà les porte-voix d’un engagement contre le système, ils doivent désormais jouer un rôle socialisateur et contribuer à la construction identitaire de leurs plus jeunes membres.
Et là, on pourrait parler de la plus belle et la plus pacifiste des révolutions sportives.
Auteur : Meryam
Groum
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